Ce Suffenus que tu connais bien, Varus, est un charmant homme, discret, plein d'urbanité, et qui fait aussi beaucoup plus de vers que personne. Je crois qu'il en a écrit dix mille et plus, et non point reportés comme tant d'autres sur des palimpsestes, mais sur papier royal, livres neufs, cylindres neufs, courroies couleur de pourpre du parchemin, - le tout réglé à la mine de plomb et poli avec la pierre ponce. Mais si tu lis ses vers, ce joli Suffenus si plein d'urbanité te semble au contraire un chevrier ou un terrassier : tant il est changé et méconnaissable ! Que faut-il en penser ? Ce même homme qui tout à l'heure nous semblait si plaisant ou, mieux encore, rompu à toutes les finesses, ce même homme est plus grossier qu'un rustre grossier dès qu'il s'est mêlé de poésie ; ce même homme n'est jamais si heureux que lorsqu'il écrit un poème. Il est plein de contentement, il s'admire lui-même ! Tous sans doute, nous nous faisons illusion à nous-mêmes et il n'est personne de nous qui ne reflète un peu Suffenus. Chacun a sa part d'erreur ; mais nous ne voyons pas, de la besace, ce qui est sur notre dos.